Par Erika Donatucci
Longtemps limitée aux bandes originales de Bollywood, la musique indienne s’impose aujourd’hui au-delà de ses frontières. Elle sort de ses studios pour intégrer les charts et s’inviter dans les playlists internationales portées par des artistes comme Hanumankind et par des collaborations inattendues. Au cours des deux dernières années, les données montrent une croissance remarquable de la présence indienne dans l’industrie musicale, non seulement au niveau local, mais aussi à l’échelle internationale. En 2023, le chanteur, KING, apparaissait déjà dans le Top 50 global de Spotify avec un titre non-film, et entièrement chanté en hindi (Tagat, 2023). Le rapport annuel de Spotify publié en mars 2024 confirmait cette constance croissance de la musique indienne : près de 50 % des redevances générées par les artistes provenaient d’auditeurs hors de l’Inde et plus de 9000 artistes indiens ont été ajoutés aux playlists locales et mondiales, dont les miennes (Spotify, 2025). Le fait que ces artistes se soient frayé un chemin jusqu’à mes propres playlists m’a naturellement amené à revoir ma perception de la musique indienne, longtemps limitée à Bollywood, et à découvrir toute la diversité qu’elle offre.
Du cinéma aux plateformes
Pour beaucoup de personnes en dehors de l’Inde, le Bollywood évoque immédiatement des couleurs vives, des danses captivantes et des bandes originales de film chantées en hindi, qui elles, vont jouer un rôle central. Et c’est vrai, pendant longtemps, j’ai moi-même eu tendance à résumer la musique indienne au Bollywood et à ses clichés. En m’y intéressant davantage ces dernières années, j’ai découvert une scène musicale plus vaste et nuancée que tout ce que je pensais connaître. Quand on y porte un regard plus attentif, on réalise que l’industrie musicale indienne, ainsi que l’industrie du cinéma, reflète une diversité immense englobant plusieurs régions, plusieurs langues, plusieurs genres, chacun possédant sa propre identité sonore. Le Bollywood demeure la plus grande industrie de ce pays et ses célébrités sont issues de cet univers, mais l’essor des plateformes de streaming et des réseaux sociaux a rebattu les cartes. On assiste aujourd’hui à « a new generation of artists expressing their creativity on social media and gaining public recognition » (IFPI, 2020). Cette évolution offre notamment aux jeunes artistes indiens, souhaitant s’émanciper de la domination des musiques de film, de nouvelles voies pour se faire connaître. Elle permet aux labels, comme Sony, de contourner certains canaux traditionnels longtemps centrés exclusivement sur les bandes originales de Bollywood.
Aujourd'hui, alors que la musique traditionnelle de Bollywood domine encore en Inde, environ 15 % à 20 % des revenus proviennent de la consommation à l'international. Shridhar Subramaniam, président de Sony Music Asie et Moyen-Orient (IFPI, 2020), pense que « la musique indienne, comme le hip-hop, peut représenter plus que de la musique et devenir une culture à part entière, et qu'une forme de pop indienne, portée par des artistes indiens, sera bientôt diffusée dans le monde entier.» (traduction libre).
Quand on observe l’essor mondial de ce style cette année, il est difficile de lui donner tort.
Hanumankind : du Kerala au public mondial
Issu du Kerala, un État du sud-ouest de l’Inde, Hanumankind représente parfaitement cette nouvelle vague d’artistes indiens globaux. Sa popularité explose grâce à des titres viraux comme Big dawgs ou encore Run It Up. Dans ses productions, il mêle des instruments et des références culturelles locales à un rap anglophone qui trouve écho partout dans le monde. Ses performances live sur des scènes internationales, comme celle de Coachella, qui fut notamment saluée par Ed Sheeran, confirment son statut d’artiste profondément ancré localement ainsi que son potentiel global.
Plutôt que de laisser ses racines dans l’ombre, le rappeur en fait un véritable atout. Ce mélange unique de rythmes locaux et de rap moderne mérite qu’on tende l’oreille, pour découvrir ce qu’il propose aujourd’hui et ce qu’il continuera à créer pour faire briller ses origines.
Collaborations internationales : quand les mondes s’entremêlent
Les artistes indiens ne sont plus seulement exportés : ils collaborent désormais avec les plus grandes stars mondiales ; parmi celles-ci, Nick Jonas, Martin Garrix, Coldplay, OneRepublic et plus récemment Ed Sheeran. Pour ce dernier, tout commence en 2024 par un mashup sur la scène de Birmingham avec l’artiste Diljit Dosanjh et sa chanson Naina. Puis, cette année, il enchaîne par une collaboration avec Arijit Singh, considéré comme une icône de la musique indienne, sur la chanson Sapphire, en deux versions. Ed Sheeran explore des influences sud-asiatiques sur plusieurs titres de son album et ira jusqu’à sortir un EP remix avec des artistes indiens, incluant Hanumankind (Tagat, 2025). Ce type de collaborations offre une visibilité instantanée à ces artistes dans des playlists mondiales, un accès à de nouveaux publics et permet l’effacement des barrières linguistiques. On remarque également un impact sur leurs tournées : les artistes parviennent à y ajouter des dates dépassant le continent asiatique et remplissent des salles à l’étranger.
Il est certain qu’entendre Ed Sheeran chanter en punjabi, ce n’était pas sur ma bingo card cette année, mais j’ai adoré. Voir deux mondes artistiques que j’aime autant s’unir naturellement, c’était un moment inattendu, mais réjouissant.
La musique indienne est désormais une force créative mondiale, portée par des artistes qui franchissent les frontières, des collaborations qui fusionnent les cultures, et des plateformes qui amplifient cette nouvelle dynamique. Ce n’est plus une simple tendance TikTok, ni une pure exportation commerciale : c’est une transformation réelle de la pop mondiale. Je dirais même qu’elle amène un vent de fraîcheur et rappelle qu’au fond, la musique naît toujours de passions qui se rencontrent.
TOP 3 de mes recommandations :
Stay de KING
Someone Told Me de Hanumankind & Roisee
Only just Begun (intro) de Armaan Malik
Bibliographie
IFPI. (2020, 26 septembre). Global Music Report: The Industry in 2019. IFPI. https://www.ifpi.org/wp-content/uploads/2020/07/Global_Music_Report-the_Industry_in_2019-en.pdf
Spotify (2025, 15 avril). Indian Artists Are Reaching More Global Fans Than Ever Before (and the Data Proves It). https://newsroom.spotify.com/2025-04-15/indian-artists-are-reaching-more-global-fans-than-ever-before-and-the-data-proves-it/
Tagat, A. (2023, 3 février). KING on going international: ‘I’ll make India proud for sure.’ Rolling Stone India. https://rollingstoneindia.com/king-international-tours-wireless-middle-east-festival-abu-dhabi-lil-uzi-vert-divine-travis-scott/
Tagat, A. (2025, 23 octobre). Ed Sheeran’s ‘Play (The Remixes)’ EP flexes India’s diverse voices. Rolling Stone India. https://rollingstoneindia.com/ed-sheeran-play-remixes-ep-review-karan-aujla-hanumankind/?utm_source=chatgpt.com
