D’un père analphabète à un fils qui brille sur scène : le transfuge de classe de Jean-Philippe Pleau

Sociologue et animateur de radio, Jean-Philippe Pleau est né d’un père analphabète et d’une mère peu scolarisée, faisant de lui ce que l’on appelle un « transfuge de classe ». En 2024, il publie son premier livre autobiographique Rue Duplessis, ma petite noirceur qui connaîtra un énorme succès au Québec. Un an seulement après sa publication, le roman a été adapté au théâtre et présenté du 3 

septembre au 4 octobre 2025, au Théâtre Jean-Duceppe à la Place des Arts. 

Le concept du transfuge de classe 

C’est quoi au juste, ce fameux transfuge de classe? Pour ceux qui ont entendu parler autant que moi du roman Rue Duplessis à sa sortie en avril 2024, vous savez que ce concept nous revient souvent à l’oreille, sans qu’il soit défini pour autant. 

Quand on parle de « transfuge », il est question de l’idée de quitter un groupe pour en rejoindre un autre.1 Le « transfuge de classe », terme utilisé en sociologie, fait plutôt référence à un changement de classe sociale. 

Lorsqu’on change de classe sociale, notre langue change, nos références changent, nos valeurs changent.2 On vit alors dans un monde complètement différent de celui auquel on a toujours eu l’habitude d’appartenir. 

L’histoire du petit Jean-Philippe Pleau devenu grand 

Jean-Philippe Pleau a grandi à Drummondville, sur la rue Duplessis, dans une famille ouvrière. Pour lui, la culture à cette époque, c’était écouter le hockey avec son père et essayer de partager sa passion pour les voitures, même si ce n’en a jamais vraiment été une. Il a grandi avec les inquiétudes de sa mère, que ce soit au niveau de la prescription abusive de médicaments ou de ses autres manières de le protéger. Pleau fut diagnostiqué de plusieurs maladies différentes quand il était jeune, sans pour autant qu’il ne soit réellement malade. Était-ce le stress de sa mère projeté sur lui ? Peut-être bien. Sa mère est encore inquiète aujourd’hui, mais pour des raisons bien différentes. Les circonstances de sa vie l’ont amené à faire des études en sociologie et à devenir animateur à Radio-Canada, faisant en sorte qu’il réside maintenant à Montréal, menant une vie dans une classe sociale bien supérieure à celle de ses parents. Cela le fait sentir étranger à bien des égards, comme s’il occupait une place qui n’était pas la sienne. Pourtant, c’est un homme passionné rempli d’audace, de talent, et d’une grande sensibilité. J’espère vous le faire découvrir à travers l’adaptation théâtrale du livre qui m’a profondément touchée. 

1 Définition tirée du site internet du Théâtre Duceppe. 

https://duceppe.com/blogue/transfuge-de-classe-ca-veut-dire-quoi/ 

2Idem.

Le dédoublement de l’identité 

Un jour, Jean-Philippe Pleau reçoit un appel du Théâtre Duceppe. Non seulement ils lui proposent d’adapter son roman au théâtre, mais ils lui proposent également de jouer dans la pièce, alors que celui-ci est loin d’être un acteur. Il hésite, mais finit tout de même par accepter. Trois acteurs donneront vie à la pièce : Steve Legault incarnera le Jean-Philippe du présent ainsi que son père, Michel-Maxime Legault jouera le Jean-Philippe du passé et la mère, et Jean-Philippe Pleau interprétera son propre rôle, spécifiquement celui de l’animateur radio qu’il est devenu. Cela nous donne donc un compte de trois Jean-Philippe en même temps sur la scène. Mélangeant? À première vue, peut-être. Mais l’adaptation théâtrale de David Laurin et la mise en scène de Marie-Ève Milot sont extrêmement bien réfléchies pour nous permettre de bien dissimuler les trois acteurs les uns des autres. 

Pleau joue son rôle d’animateur de radio, et anime une émission durant laquelle il reçoit son lui du présent et son lui du passé. Il les invitera à débattre sur différents sujets sur lesquels le transfuge de classe qu’il a vécu a eu un impact majeur sur lui. Cela permet de bien voir comment tout a changé chez lui : son langage, ses expressions, sa manière de s’habiller, de se tenir, etc. Le dédoublement de l’identité qu’on essaie de présenter au travers de ces trois acteurs démontre de manière concrète ce que représente le transfuge de classe, permettant aux spectateurs de mieux comprendre le tout. 

Une histoire touchante 

Pourquoi avoir choisi Jean-Philippe Pleau lui-même pour raconter son histoire au théâtre, alors qu’il n’a aucune formation dite théâtrale? Je me suis honnêtement posé la question avant de voir la pièce. J’avais déjà vu des pièces avec des non-acteurs auparavant, et laissez-moi vous dire que c’est rarement réussi. En revanche, cette fois-ci, je pense que ce choix était justifiable. En écoutant l’auteur nous raconter lui-même son histoire, on ressent profondément les mots qu’il utilise. On assiste carrément à une invitation dans sa vulnérabilité, et cela apporte une tout autre dimension à la pièce. De plus, Marie-Ève Milot a fait le choix artistique d’un décor chaleureux, qui nous plonge dans la maison des Pleau des années 1980. Jean-Philippe Pleau nous invite à entrer chez lui, dans son monde, à comprendre ce qui l’a amené à être qui il est devenu aujourd’hui. 

Rue Duplessis, ma petite noirceur : la suite 

Non seulement Pleau nous apporte-t-il dans le passé, mais il vient aussi nous raconter ce qui s’est réellement passé après la sortie de son roman. Ses parents ont tranquillement cessé de retourner ses appels, et il a dû faire face à des poursuites venant d’autres membres de sa famille. La pièce vient donc faire une « mise à jour » de l’avant, du pendant et de l’après du livre à succès. Elle nous montre aussi l’audace de Jean-Philippe Pleau à travers de cette écriture qui lui a suscité plusieurs émotions. Après la pièce, j’ai fait une story sur Instagram, qui montrait le décor et la scène. 10 minutes seulement après ma publication, je reçois une réponse de l’auteur lui-même : « Merci pour ta présence précieuse ce soir ». On voit que, pour lui, cela veut dire beaucoup. Pour moi aussi, d’ailleurs. Jean-Philippe Pleau n’est plus seulement un transfuge de classe, il est surtout devenu une source d’inspiration pour plusieurs personnes autour de lui.

Emilie Charest