Ma voix appartient à l’État; La condition féminine en Afghanistan

J’ai regardé Bread and Roses (2023) de Sahra Mani et ce documentaire m’a profondément bouleversé. Il montre des femmes afghanes qui, sous le régime taliban, filment leur quotidien, organisent des manifestations malgré la peur, et écrivent des slogans de liberté, risquant l’arrestation, voire pire.

Ce n’était pas une fiction, mais une réalité crue et sans filtre, d’une oppression qui semble se perdre dans l’indifférence du monde. À la fin du film, une urgence s’est imposée : celle d’écrire. Écrire sur la situation actuelle en Afghanistan, deux ans après la reprise du pouvoir par les Talibans. Écrire sur cette répression qui efface les femmes de l’espace public, sur leurs voix qui, bien qu’étouffées, continuent de lutter. Écrire pour qu’elles ne soient pas oubliées dans le bruit du monde.

IMDb. (n.d.). Bread & Roses. IMDb. https://www.imdb.com/fr/title/tt27599265/ 

Répression Taliban

En août 2021, après près de deux décennies de présence militaire occidentale en Afghanistan, les talibans ont repris le contrôle du pays, marquant un tournant dramatique pour les droits des femmes et des filles afghanes. Alors que la communauté internationale espérait une évolution positive des droits humains sous un gouvernement taliban modéré, les premières mesures adoptées par le régime ont rapidement révélé une régression inquiétante. En moins de trois ans, le gouvernement taliban a imposé une série de restrictions législatives et sociétales réduisant les femmes à une existence de plus en plus confinée et marginalisée. 


Le 21 août 2024, les autorités ont ratifié une nouvelle version de la « Loi sur la promotion de la vertu et la prévention du vice », comportant 35 articles avec une série d’obligations plus sévères que jamais (Agence France-Presse, 2024). Parmi les mesures les plus notables, les femmes sont désormais obligées de se couvrir intégralement, y compris le visage, et leur voix est interdite en public. Ces interdictions s’étendent à des aspects de la vie quotidienne : les femmes ne peuvent plus regarder des hommes non liés par le sang ou par le mariage, ne peuvent pas prendre les transports en commun seules et il leur est interdit de prier à voix haute ou même de chanter. Ces nouvelles règles, qui se fondent sur une interprétation extrême de la charia, aggravent les mesures déjà existantes et restreignent davantage la liberté des femmes dans tous les domaines de la vie sociale et publique. 

Les Talibans justifient leurs actions en se référant à une version conservatrice et autoritaire de la charia, qu’ils présentent comme étant la seule voie légitime pour la société afghane. En utilisant la charia comme cadre de référence, ils cherchent à instaurer un contrôle moral omniprésent où chaque aspect de la vie quotidienne est strictement encadré (Jedidi, 2010, p.125). Mais au cœur de cette vision rigide se trouve un patriarcat profondément enraciné, qui instrumentalise la religion pour imposer une hiérarchie de genre. Cette interprétation autoritaire de la charia sert à maintenir le pouvoir masculin en confinant les femmes à des rôles subalternes, souvent justifiés au nom de la foi. Comme le souligne Zahra Ali dans son livre Féminismes Islamiques

« Pendant trop longtemps, les hommes ont défini pour nous ce que c’était que d’être une femme et comment en être une. Les hommes ont utilisé la religion pour nous confiner dans des limites socialement construites qui nous réduisent à la moitié inférieure de l’humanité » (2012, p.122).

Cette citation met en lumière comment le patriarcat, sous couvert de religion, perpétue des structures d’oppression qui entravent l’autonomie et la dignité des femmes. Les Talibans, en s’attribuant le droit d’interpréter les textes religieux à leur avantage, renforcent une vision du monde où la domination masculine devient la norme, et la contestation, un blasphème.

Sastre, P.(2025). « SOS Afghanes » : un réseau pour l’éducation et l’emploi des femmes afganes. LePoint. https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sos-afghanes-un-reseau-pour-l-education-et-l-emploi-des-femmes-afghanes-08-03-2025-2584179_32.php

Isolement des Afghanes 

La situation des femmes en Afghanistan, soumises à l'isolement et à la misère imposés par les talibans, les place dans une situation d'oppression extrême. Michèle Ouimet, journaliste ayant couvert plusieurs zones dangereuses, dont l'Afghanistan, raconte avoir passé une semaine dans une famille afghane : « L'homme est puissant dans la famille afghane, et le carcan de la religion étouffe la liberté » (Lambert, 2022), confie-t-elle. Elle décrit une emprise telle que les femmes sont obligées de mentir ou de cacher des relations secrètes pour échapper, ne serait-ce qu'en pensée, à ce quotidien étouffant. Elle évoque une jeune femme qui a caché l'existence de son amant de peur d'être tuée par son père. Selon ONU Femmes (2024), cet isolement forcé a un effet profond sur les femmes afghanes, les privant non seulement de leurs droits fondamentaux, mais aussi de leur sentiment de sécurité et de leur bien-être psychologique.

En dehors de la maison, presque toutes les femmes se sentent vulnérables et impuissantes. Une enquête des Nations unies montre que seulement 22 % des femmes interrogées rencontrent des amis en dehors de leur cercle familial immédiat, et que près de 18 % ne voient jamais personne (ONU Femmes, 2024). Samira Hamidi, chargée de campagne pour l’Asie du Sud à Amnesty International, témoigne de la répression croissante : « C’est une continuation de la violence systémique contre les femmes et les filles, un moyen supplémentaire de restreindre leur capacité à interagir entre elles. » En septembre 2024, Sima Bahous, directrice exécutive d'ONU Femmes, a rappelé au Conseil de sécurité des Nations unies que « le droit moral ne sépare pas seulement les femmes des hommes, il les isole aussi les unes des autres ». Ce type d'isolement exacerbe les sentiments de solitude et de désespoir, favorisant la dépression et les troubles mentaux. Mme Bahous appelle à une action internationale urgente, soulignant que, malgré la tragédie vécue par les femmes afghanes, la situation n'est pas désespérée, à condition qu'il y ait une solidarité mondiale. 

Courage féminin

Des mouvements de contestation ont émergé en Afghanistan, malgré les risques encourus par celles qui osent défier le régime. À la suite de la déclaration de Mohammad Khalid Hanafi, ministre taliban du Vice et de la Vertu, qui a renforcé les restrictions imposées aux femmes, de nombreuses militantes ont pris la parole pour dénoncer la situation. La journaliste Lina Rozbih a exprimé son indignation sur le réseau social X, soulignant : « après avoir interdit aux femmes de s’exprimer en public, le ministère taliban du Vice et de la Vertu leur interdit maintenant de se parler. […] Le monde doit agir! Aidez les millions de femmes afghanes sans voix et sans défense » (Agence France-Presse, 2024). De son côté, l’ancienne diplomate afghane Nazifa Haqpal, interrogée par The Independent, a réagi en affirmant que cette répression allait bien au-delà de la misogynie : « Cela illustre un niveau extrême de contrôle et d’absurdité » (Rai, 2024).

Malgré la répression féroce, certaines femmes résistent courageusement à cette oppression. En signe de résistance, des vidéos circulent où des femmes afghanes se filment en train de chanter, un acte audacieux dans un pays où les expressions publiques féminines sont sévèrement réprimées. Ces actes de résistance, bien que symboliques, démontrent que l’esprit de lutte n’a pas disparu. En publiant leurs témoignages et en organisant des manifestations clandestines, ces femmes continuent de revendiquer leurs droits et d’inspirer la solidarité internationale, attirant l’attention du monde sur leur combat pour la dignité et la liberté. Cela dit, la lutte ne se limite pas aux femmes. Certains hommes prennent également des risques pour soutenir leurs droits. En 2023, Matiullah Wesa, un Afghan de 30 ans qui a fondé l’organisation Pen Path pour promouvoir l’éducation des filles et des femmes, a été arrêté à Kaboul. Cet acte illustre le prix que doivent payer ceux qui osent défier le régime en place (Amnesty International, 2023). 

Chronicle, C. & Hayes, C. (2024). Fromer Afgane maayor, now a student, advocates for girls and women. Cornell University. https://news.cornell.edu/stories/2024/12/former-afghan-mayor-now-student-advocates-girls-and-women 

La reconnaissance de l’apartheid de genre comme un crime contre l’humanité représente une initiative cruciale pour les militantes afghanes qui luttent contre un régime oppressif. Dans un contexte où les femmes afghanes sont systématiquement exclues de la vie publique par des lois et des décrets imposés par les Talibans, l’inclusion de ce crime dans le droit international permettrait potentiellement de traduire en justice les dirigeants talibans responsables de ces violations. Sima Samar, ancienne ministre de la Condition féminine en Afghanistan et défenseuse des droits humains, est l’une des figures centrales de cette campagne. Elle a souligné que la situation actuelle est comparable à une « détention arbitraire » de millions de femmes. « Je ne pensais pas revoir ça de mon vivant ! », s’est-elle exclamée, exprimant sa consternation de voir les Afghanes de nouveau soumises aux mêmes restrictions qu’il y a 25 ans (Sudarivich, 2024). Elle espère que l’initiative permettra d’exercer une pression juridique internationale sur les Talibans et de rappeler que, même si elles sont réprimées, les voix des Afghanes continuent de se faire entendre. 

Petit message d’espoir

Aujourd’hui plus que jamais, il faut écouter ces voix courageuses qui, malgré la peur, continuent de s’élever dans l’ombre. Leur lutte dépasse les frontières de l’Afghanistan : elle nous interpelle toutes et tous sur ce que signifie être libre, être femme, être humain. Nous avons le devoir de relayer leurs récits, de soutenir leurs combats et de refuser l’indifférence. Chaque mot, chaque geste de solidarité compte. Tant qu’une femme résiste, aucune dictature n’est totale. Et tant que nous serons nombreux à croire en leur avenir, l’espoir demeurera plus fort que la peur.

Maxime Gravel


Références