République Démocratique du Congo : quand un seul geste réveille les consciences

Le 10 février, les joueurs de l'équipe de football de la République démocratique du Congo (RDC) se sont rassemblés pour chanter leur hymne national lors de la demi-finale de la Coupe d'Afrique des nations, leur geste symbolique a révélé bien plus que leur passion pour le sport. En adoptant une pose particulière, une main devant la bouche et l'autre contre la tempe, ces athlètes ont voulu attirer l'attention sur les atrocités persistantes qui affectent des millions de Congolais depuis plus d'un quart de siècle. Cette célébration sportive, bien qu'emblématique, ne fait que souligner l'ampleur d'une crise complexe et multiforme qui secoue la RDC depuis des décennies.

Le conflit dans la République Démocratique du Congo trouve ses racines dans la période post-génocide au Rwanda, où les conséquences du génocide des Tutsi en 1994 ont déclenché une série d'événements qui ont affecté toute la région. Les réfugiés hutus, dont certains étaient impliqués dans le génocide, ont fui vers le Zaïre voisin, rebaptisé depuis la République démocratique du Congo. Cela a entraîné une série d'invasions et de conflits armés, avec des groupes rebelles et des milices se disputant le contrôle des ressources minières riches de la région, telles que le coltan, l'or et le cobalt. Ces rivalités entre tous les groupes rebelles ont alimenté une instabilité politique et sécuritaire durable, exacerbée par l'implication de pays voisins comme le Rwanda et l'Ouganda, qui ont soutenu divers groupes rebelles dans le but de protéger leurs propres intérêts économiques.

 

Le Nord-Kivu en RDC est une région d'un intérêt stratégique majeur en raison de ses ressources naturelles précieuses, notamment le coltan, l'or et les diamants. Ces ressources sont essentielles pour l'industrie technologique mondiale, en particulier pour la fabrication de téléphones portables et d'autres appareils électroniques. Par conséquent, le contrôle de ces ressources est un enjeu économique crucial pour de nombreux pays, ce qui explique l'intérêt soutenu des pays donateurs pour la région du Nord-Kivu en RDC malgré les conflits et les violations des droits humains qui y ont lieu.

 

En 30 ans, 6 millions de personnes ont perdu la vie et 7 millions ont été déplacées dans des conditions tragiques et des violences généralisées, y compris des violences sexuelles (ONU, 2023). La situation en République démocratique du Congo et plus particulièrement dans la région du Nord-Kivu est marquée par des violences sexuelles brutales perpétrées notamment par des groupes armés comme le M23. Ces violences sont utilisées comme une arme de guerre pour semer la terreur et exercer un contrôle sur les populations civiles, en particulier les femmes et les enfants qui en sont les premières victimes. Ces actes barbares ont des conséquences dévastatrices sur les survivantes.

 

Le Dr Denis Mukwege, éminent gynécologue œuvrant activement contre les violences sexuelles en tant qu'arme de guerre, travaille depuis des années à l'Hôpital de Panzi à Bukavu pour soigner et soutenir les femmes et les enfants victimes de ces crimes odieux. Son travail acharné lui a valu le Prix Nobel de la paix en 2018, reconnaissant ainsi son dévouement et son engagement envers les droits humains et la lutte contre les violences sexuelles. Il met en lumière l'horreur de ces violences et appelle à une action urgente pour mettre fin à cette tragédie humaine. (Feyt ; Sadutto, 2022)

 

Malgré les invasions du Rwanda et de l'Ouganda en République démocratique du Congo (RDC) depuis 1996, les gouvernements occidentaux continuent de fournir une aide significative à ces pays. Les principaux donateurs tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Union européenne et les Pays-Bas ont maintenu un soutien financier et militaire au Rwanda et à l'Ouganda. (Reid, 2022, p.9) Cette aide représente la majeure partie des budgets officiels de ces deux pays

L'initiative de l'équipe de football de la République démocratique du Congo met en lumière l'importance de l'engagement de figures nationales dans la sensibilisation et la lutte contre les défis persistants de leur pays. Cette action montre que le sport peut être un puissant catalyseur sociétal. En se projetant vers l'avenir, la République démocratique du Congo doit traduire sa prise de conscience en actions concrètes, tant au niveau politique, social et économique. Cela nécessite de renforcer les institutions, de promouvoir la justice et la réconciliation et d'assurer une gestion transparente des ressources naturelles. Tout cela sera impossible tant que des acteurs internationaux auront toujours une main mise sur cette région si riche et si convoitée. La RDC doit (re)trouver une indépendance et une autonomie totale de son territoire.

Abdel Saber Sadou 


Bibliographie

 Miliani, A. (10 fevrier 2024). République démocratique du Congo : comprendre la « crise oubliée » que dénoncent les footballeurs de la CAN. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/10/republique-democratique-du-congo-comprendre-la-crise-oubliee-que-denoncent-les-footballeurs-de-la-can_6215870_4355770.html

Michel, T. (16 mars 2022). L’empire du silence

Feyt, B. ; Sadutto, M. (2 novembre 2022) 25 ans de crimes et d’impunité au Congo : Denis Mukwege dénonce "l’humanisme à géométrie variable" de la communauté internationale. https://www.rtbf.be/article/25-ans-de-crimes-et-dimpunite-au-congo-denis-mukwege-denonce-lhumanisme-a-geometrie-variable-de-la-communaute-internationale-11093817

ONU Info (30 octobre 2023) RDC : près de 7 millions déplacés par les violences, la grande majorité a besoin d’aide https://news.un.org/fr/story/2023/10/1140132

Reid, Timothy B., (2022) Killing Them Softly: Has Foreign Aid to Rwanda and Uganda Contributed to the Humanitarian Tragedy in the DRC. https://afjn.org/wp-content/uploads/2022/06/timothy-b-reid1-killing-them-softly-has-foreign-aid-to-rwanda-and-uganda-contributed-to-the-humanitarian-tragedy-in-the-drc.pdf