La montée des mouvements anti-avortement au Québec

Pourquoi les jeunes hommes, pourtant nés dans un contexte de plus grande égalité, semblent-ils se tourner vers des idéologies de droite plus conservatrices que celles de leurs propres parents? Assiste-t-on à une régression dans les luttes sociales et féministes? Comment expliquer la résurgence des mouvements anti-avortement, qui prennent de l’ampleur non seulement aux États-Unis, mais aussi ici, au Québec? 

Le documentaire La peur au ventre de Léa Clermont-Dion, diffusé sur Télé-Québec plonge au coeur de ce phénomène inquiétant qu’est la montée des groupes anti-avortement. Il s’agit d’un constat troublant, car les droits des femmes sont en danger. Mais que se cache-t-il réellement derrière cette montée en puissance de mouvements conservateurs? Qu’est-ce qui explique ce revirement? La peur au ventre tente d’y répondre. 

Donnons-nous un peu de contexte, tout a commencé en 2022, lorsque la Cour suprême des États-Unis a annulé la décision historique Roe v. Wade, qui garrantissait le droit à l’avortement dans tout le pays. Depuis, 14 États ont totalement interdit l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste et 7 autres l’ont sérieusement restreint. Cette attaque contre ce droit fondamental a suscité une onde de choc, pour ceux qui se battent pour l’égalité des sexes à l’échelle mondiale. C’est donc dans ce climat que Léa Clermont-Dion a décidé de mener son enquête. Elle s’est déplacée sur le terrain pour rencontrer les acteurs de ce courant conservateur, qui s'étend de Washington à Ottawa, en passant par le Québec. Ce qu'elle découvre la surprend : loin de se cantonner à une génération plus âgée, ces idées séduisent de plus en plus la jeunesse, un phénomène qu'elle n'avait pas anticipé. C’est en grande partie en raison des réseaux sociaux et de l'influence croissante des figures populaires en ligne que de nombreux jeunes adhèrent aujourd’hui à ces idéologies rétrogrades. 

La réalisatrice du documentaire s’est rendue à une grande manifestation anti-avortement à Washington : Ce sont des jeunes, parfois même des adolescents, et bien souvent des hommes, qui tiennent des pancartes et s’exclament contre ce droit reproductif. Mike Johnson, président de la chambre des représentants aux États-Unis s’exclame: « Et nous nous rassemblons tous pour célébrer la vie et ce que cela signifie d’être un américain… ». Mais alors, que signifie donc la vie de ces femmes ou de ces jeunes filles dont l'avenir a été brisé par une grossesse imposée, sans leur consentement ni leur choix? Le slogan principal du mouvement pro-vie est celui-là : « Life is our revolution ». Ce message met en avant la protection des droits des embryons et des fœtus, qu'ils considèrent comme des vies humaines dès le commencement. Pourtant, dans leur démarche, ils semblent ignorer la réalité des femmes, dont la vie et les choix sont souvent sacrifiés au nom de cette dite révolution. Ce sentiment d’être dans un futur dystopique et oppressant est palpable tout au long du documentaire. 

Depuis 1988, 48 projets de loi ont été déposés au Canada pour restreindre l’accès à l’avortment. Aujourd'hui, au Québec, le mouvement pro-vie est bien présent, comme en témoigne une manifestation qui a eu lieu cet été dans la ville de Québec. Parallèlement, certains centres dits « d’aide à la grossesse » exercent une pression considérable sur les femmes, les incitant fortement à poursuivre leur grossesse et leur faisant croire qu'elles regretteraient leur choix d'avorter. On comprend donc rapidement que la question de l’impact qu'ont ces idéologies sur les politiques canadiennes est bel et bien présente. 

Ce qui frappe le plus, c’est que cette idéologie de « sauver des bébés », issue des valeurs patriarcales et traditionalistes, et soutenue par des groupes religieux conservateurs, repose sur une peur irrationnelle: celle que les droits des femmes menacent de détruire la société. Et ce qui fait réellement peur, c’est que ces militants sont de plus en plus visibles, avec des manifestations qui rassemblent des milliers de personnes. Derrière les slogans et les marches, il y a une véritable stratégie pour influencer l’opinion publique, particulièrement chez les jeunes. 

Le documentaire La peur au ventre nous révèle à quel point ces idéologies conservatrices sont plus proches de nous qu’on ne l’imagine, et comment elles sont liées à d’autres phénomènes inquétants de notre époque. Le 11 novembre dernier, Télé-Québec diffusait Alphas, un documentaire qui explore la montée en popularité des discours des influenceurs masculinistes. Sur les réseaux sociaux, ces influenceurs trouvent un écho puissant auprès des jeunes hommes, leur montrant un modèle de masculinité, très toxique. Cette fausse représentation de la masculinité est malheureusement fondée sur la peur de l’émancipation et de la liberté des femmes. Au bout du compte, ces idéologies, qu’elles soient pro-vie ou masculinistes, alimentent une vision du monde dominée par la peur et la répression, et soulignent la nécessité urgente de défendre les droits des femmes et l'égalité des genres face à ces mouvements grandissants.


Judith Bernadet

Bibliographie :

  • Alphas : un documentaire saisissant sur l’ampleur du mouvement mâle alpha. (22 octobre 2024). Centre De Presse De Télé-Québec. 

  • https://presse.telequebec.tv/communiques/2286/alphas-un-documentaire-saisissant-sur-l-am pleur-du-mouvement-male-alpha/ 

  • La peur au ventre | Centre de presse de Télé-Québec. (2024). Centre De Presse De Télé-Québec. https://presse.telequebec.tv/nos-contenus/767/la-peur-au-ventre/ 

  • Le docu de la semaine | La peur au ventre, de Léa Clermont-Dion. (21 octobre 2024). La Presse. 

  • https://www.lapresse.ca/arts/television/2024-10-21/le-docu-de-la-semaine/la-peur-au-ventre de-lea-clermont-dion.php